"Ferragus..."

Publié le par KubrickBordel

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Extrait de Ferragus, de Balzac, un début intéressant...

    Il est dans Paris certaines rues déshonorées autant que peut l’être un homme coupable d’infamie ; puis il existe des rues nobles, puis des rues simplement honnêtes, puis de jeunes rues sur la moralité desquelles le public ne s’est pas encore formé d’opinion ; puis des rues assassines, des rues plus vieilles que de vieilles douairières ne sont vieilles, des rues estimables, des rues toujours propres, des rues toujours sales, des rues ouvrières, travailleuses, mercantiles. Enfin, les rues de Paris ont des qualités humaines, et nous impriment par leur physionomie certaines idées contre lesquelles nous sommes sans défense. Il y a des rues de mauvaise compagnie où vous ne voudriez pas demeurer, et des rues où vous placeriez volontiers votre séjour. Quelques rues, ainsi que la rue Montmartre, ont une belle tête et finissent en queue de poisson. La rue de la Paix est une large rue, une grande rue ; mais elle ne réveille aucune des pensées gracieusement nobles qui surprennent une âme impressible au milieu de la rue Royale, et elle manque certainement de la majesté qui règne dans la place Vendôme. Si vous vous promenez dans les rues de l’île Saint−Louis, ne demandez raison de la tristesse nerveuse qui s’empare de vous qu’à la solitude, à l’air morne des maisons et des grands hôtels déserts. Cette île, le cadavre des fermiers−généraux, est comme la Venise de Paris. La place de la Bourse est babillarde, active, prostituée ; elle n’est belle que par un clair de lune, à deux heures du matin : le jour, c’est un abrégé de Paris ; pendant la nuit, c’est comme une rêverie de la Grèce. [...] Paris est le plus délicieux des monstres : là, jolie femme; plus loin, vieux et pauvre; ici, tout neuf comme la monnaie d'un nouveau règne; dans ce coin, élégant comme une femme à la mode. Monstre complet d'ailleurs! Ses greniers, espèce de tête pleine de science et de génie; ses premiers étages, estomacs heureux; ses boutiques, véritables pieds; de là partent tous les trotteurs, tous les affairés. Eh! quelle vie toujours active a le monstre? A peine le dernier frétillement des dernières voitures de bal cesse-t-il au coeur que déjà ses bras se remuent aux Barrières', et il se secoue lentement. Toutes les portes bâillent, tournent sur leurs gonds, comme les membranes d'un grand homard, invisiblement manoeuvrées par trente mille hommes ou femmes, dont chacune ou chacun vit dans six pieds carrés, y possède une cuisine, un atelier, un lit, des enfants, un jardin, n'y voit pas clair, et doit tout voir. Insensiblement les articulations craquent, le mouvement se communique, la rue parle. A midi, tout est vivant, les cheminées fument, le monstre mange; puis il rugit, puis ses mille pattes s'agitent. Beau spectacle ! Mais, ô Paris! qui n'a pas admiré tes sombres paysages, tes échappées de lumière, tes culs-de-sac profonds et silencieux; qui n'a pas entendu tes murmures, entre minuit et deux heures du matin, ne connaît encore rien de ta vraie poésie, ni de tes bizarres et larges contrastes.

Ferragus, de Balzac (1833)


Voici donc le début de Ferragus, le premier roman de l'histoire des Treize de Balzac. Incipit savoureux, il propose une description savoureuse de Paris à travers les caractères humains, véritable personnification d'une ville grouillante, semblable à un corps vivant, battant le rythme. Ici, Paris représente la diversité, composée des plus belles des rues et des plus macabres aussi. Paradoxe de la beauté, elle est accompagnée de laideur. Une vision juste, je pense, qui ouvre des perspectives par rapport aux idées de l'époque qui voulaient justement que Paris soit juste et seulement luxueuse. Mais plus loin, Balzac explique qu'il n'éprouve pas de plus grand plaisir que de se balader la nuit, dans les quartiers mal famés...
Très loin de la Duchesse de Langeais, second volet abordant le thème de la bourgeoisie, Ferragus se concentre essentiellemet sur cette organisation de 13 hommes s'entraidant face à la chute de l'empire, eux-même étant des généraux bonapartistes. Dans l'ombre, ils peuvent contrôler Paris, et tirer les ficelles. Un livre enchanteur, et passionnant, dénué de trop longues descriptions, les quelques unes restantes étant intéressante. En tout les cas, je vous conseille juste de lire ce petit passage, calmement, en vous laissant emporter par la douce poésie des mots... (possibilité de l'écouter avec Linkin Park en fond sonore également)

Possibilité de le lire en intégralité (2 liens possibles):
www.diogene.ch/IMG/pdf/Balzac__Honore_de-Histoire_des_treize_1_Ferragus.pdf
 
http://books.google.fr/books?id=NUuofFV3JU8C&dq=ferragus&pg=PP1&ots=zN2sQtWMAX&sig=paz5G-7e0y79H81Hbl49UOBTzeY&hl=fr&prev=http://www.google.fr/search?hl=fr&rlz=1B3GGGL_fr___FR230&q=ferragus&btnG=Rechercher&sa=X&oi=print&ct=title&cad=one-book-with-thumbnail#PPA4,M1
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